dimanche 31 mai 2015

Interview de Sébastien de Peyret pour Urban Operations


Très attiré par les promesses du prochain jeu à sortir chez Nuts! Publishing, Urban Operations, je me suis dis que ce serait l'occasion parfaite pour s'adonner à un exercice un peu nouveau dans ces pages: l'interview. Voici donc ici même le résultat de nos échanges avec Sébastien de Peyret, créateur de ce titre en devenir qui, je le confirme après cette interview, pique vraiment ma curiosité de joueur!



Dimicatio: Peux-tu te présenter et exposer ton rapport en général avec le wargame? Es-tu joueur ou juste serious gamer pour l'armée?
Sébastien: Je suis officier d’infanterie, et j’ai été affecté à plusieurs postes dédiés à la formation des cadres ou à l’entraînement des forces terrestres françaises et étrangères. Par goût autant que du fait de mes affectations je me suis spécialisé dans la préparation aux opérations urbaines, qui est une des formes les plus complexes d’engagement militaire.
Quand je raconte ce que je fais à un public totalement extérieur au monde militaire, il n’est pas rare que mes interlocuteurs en concluent que, d’une certaine manière, je crée les conditions pour que mes soldats “jouent à la guerre”. A l’heure de la simulation laser, ce n’est pas faux. Et heureusement qu’il y a un vrai côté ludique et addictif dans les entraînements professionnels. Mais la finalité de tout cela nous ramène très rapidement aux réalités!
De l’entraînement au jeu il n’y a donc qu’un pas, que je ne m’interdis pas de passer fréquemment. Et l’art de la guerre est suffisamment délicat à assimiler qu’il n’est pas aberrant pour un chef militaire de passer par le jeu pour en découvrir toutes les finesses, avant d’être en situation. C’est ce que j’ai fait avec, par exemple, “the operational art of war” lorsque je préparais le concours de l’école de guerre.
Joueur ou serious gamer? Ni vraiment l’un ni vraiment l’autre. Je n’ai pas un passé de grognard, et depuis trois ans le temps que je peux consacrer au jeu, je l’emploie à 100% au développement d’Urban Operations, ou parfois à la découverte de nouveautés pour renouveler mes connaissances. Quant au serious game militaire, je m’emploie surtout à le faire évoluer. La vision institutionnelle du serious game est très “simulationniste”. Je tâche de faire découvrir qu’il y a de TRES nombreuses autres façons d’employer le jeu à des fins professionnelles. Ce fut un combat il y a 80 ans de faire découvrir l’intérêt du blindé dans une armée moderne. La prochaine croisade sera peut-être celle du serious game, qui sait?


Qu'entends-tu par "heureusement qu’il y a un vrai côté ludique et addictif dans les entraînements professionnels"?
Un entraînement doit permettre de mettre en œuvre un certain nombre de procédures, mais aussi de tester les capacités d'analyse et d'adaptation face à l'imprévu de tous les niveaux hiérarchiques. Les opérations récentes nous rappellent la nécessité d'avoir des chefs très autonomes à tous les niveaux. On ne peut y arriver que par un véritable effet d'immersion, qui met souvent pas mal de "fun", mais aussi de la tension, dans les exercices. Les entraînements au combat urbain sont les plus complets en ce sens : pendant que les chefs d'unités sont mis à rude épreuve pour trouver la meilleure manœuvre, les soldats sont eux aussi sous une grosse pression pour fouiller chaque bâtiment ou le défendre au corps-à-corps.

Quelles sont justement ces autres façons d'utiliser le jeu dont tu fais allusion? 
Le propre du jeu est de stimuler l'imagination : le joueur est "challengé" par une situation particulièrement complexe, ou par un adversaire réactif. Et cela permet d'aller beaucoup plus loin dans l'analyse que tout autre type d'étude de cas tactiques. Les gens qui s'entraînent par le jeu y gagnent une expérience personnelle souvent très marquante.
Je vois donc le jeu comme un très bon support pour l'apprentissage des rudiments de la tactique et de la stratégie, pour la compréhension d'un cas historique ou d'une opération plus récente, ou pour la prospective - les jeux sur cartes permettent de tester les innovations techniques et tactiques avant de les représenter grandeur nature sur le terrain, ou avant que des équipements futurs ne soient sortis des chaînes de production. Enfin la mode est au team building dans les entreprises : faire réaliser une opération complexe, sur carte, avec distribution des responsabilités entre différents joueurs est une excellente façon de roder des équipes de commandement avant qu'elles ne soient déployées avec leurs unités complètes.


Pour Urban Operations, comment es-tu passé d'un serious game à un "jeu" tout en voulant qu'il reste utilisable par l'armée?
Mon idée de départ, très floue, date d’il y a une dizaine d’années. Je cherchais un support pour aider les chefs de section que je commandais à intégrer les spécificités de la tactique en zone urbaine. On est (parfois) dépassé par le temps, je n’ai pas eu l’occasion de finaliser les idées que j’avais notées. Mais l’inspiration est revenue de manière brutale fin 2011, j’ai profité de quelques jours de vacances pour commencer à modéliser une représentation de terrain urbain, à rédiger quelques règles directement inspirées de ce que j’ai remarqué au cours de mes entraînements “grandeur nature”, et que l’on retrouve pleinement dans la version actuelle d’Urban Operations.
Il m’a semblé rapidement évident que ne s’appuyer que sur le monde ludique ou professionnel amènerait à un produit soit trop peu réaliste, soit (il faut bien l’avouer) un peu trop sérieux pour être immersif. D’où la volonté d’ouvrir le jeu aux deux mondes, et pour l’instant l’intérêt est aussi grand chez les joueurs que l’est la curiosité chez nombre de mes comparses français et étrangers.

Du coup, à qui s'adresse ce jeu? Le joueur "ludique" ou le "simulationniste"?
L’effet que je vise, c’est essentiellement l’immersion, que l’on ne peut avoir qu’en axant sur le côté ludique. Et il faut être réaliste : modéliser une simulation sur papier est très ambitieux, et a de grandes chances de retirer une grande partie du gameplay. Les joueurs d’Urban Operations sont plus amenés à faire le bon usage de la combinaison d’un groupe d’infanterie et d’un binôme de chars, qu’à comparer les capacités de perforation entre le M1 Abrams et le T-72.
Créer Urban Operations, même si c’est ma première expérience de concepteur, m’a amené très rapidement à faire des choix pour élaborer un système de jeu. Et je me rends compte, en développant d’autres systèmes à usage professionnel, que je mets toujours en avant la représentation du brouillard de la guerre, qui me semble essentiel. En comparaison l’aléa dans les résolutions d’engagement est assez limité. La guerre est la confrontation de deux volontés, et amène le chef à décider dans l’incertitude. C’est ce que je mets en avant, et il me semble que les joueurs y prennent un réel plaisir.

Voilà quelque chose de très intéressant car il s'agit pour moi d'un des points que je trouve le plus sensible dans notre hobby: comment s'amuser le plus possible en ayant l'impression de "vivre" une situation la plus crédible et/ou historique possible. On peut donc s'attendre à un résultat particulièrement équilibré avec Urban Operations, ce qui est vraiment fait pour me plaire! 
L'équilibre entre réalisme et game play est, à mon sens, le Graal de notre hobby. Nous menons avec Thomas Pouchin un combat presque quotidien pour rester aussi simple que possible, et nous devrions avoir un jeu très ludique. Concernant d'autres règles "de référence" comme ASL ou Combat Commander je n'ai pas eu l'occasion de les pratiquer, juste de me les faire présenter. Je sais la place que ces règles tiennent dans le monde du jeu d'histoire, et d'une certaine manière je pense sain de ne pas être du tout influencé par d'autres systèmes. Cela amène parfois à réinventer la roue, mais dans ce cas je sais pouvoir compter sur Thomas pour me recadrer. Mais la plupart du temps je pars simplement de mes observations du terrain pour créer des mécanismes de jeu. Cela devrait apporter aux joueurs chevronnés de vraies innovations, et aux débutants un environnement très réaliste.


Cette première expérience de conception sur Urban Operations a-t-elle changé ta façon d'appréhender ton travail? Cela t'a-t-il apporté de travailler sur le ludique pour tes réalisations militaires?
Chaque expérience de développement de projet, quelle que soit son échelle, est une opportunité pour apprendre et progresser. J'ai beaucoup appris sur la création des mécanismes de jeu et sur l'interface entre ces mécanismes et le joueur. Cet aspect ressort de manière indéniable dans ma manière d'élaborer des solutions pour la formation. J'ai à cette occasion aussi beaucoup découvert sur le monde du serious game et sur ses applications, et je vois ça comme un réel atout pour orienter mes choix professionnels à venir.

D'ailleurs, d'où vient cette relation avec Nuts!?
La mise en relation avec Nuts! Publishing, que je ne connaissais pas plus que cela, est un véritable coup de chance, pour les deux parties il me semble. Le contact a été établi par Arnaud de Peretti, qui s’y connait – il a organisé la convention à l’Ecole de guerre en 2012 – et cela a tout de suite fonctionné. Je venais avec des idées de terrain, pour représenter des effets qui n’existent pas encore (ou peu) dans le domaine du jeu, et l’équipe de Nuts! cherchait une opportunité pour développer d’autres genres de wargames, plus orientés jeu de plateau. On s’est mis immédiatement au travail avec Thomas Pouchin, à distance (j’habitais à cette époque à 7 000 km de la France). La “conjonction des talents” entre l’opérationnel et le wargamer a permis de trouver très rapidement les solutions pratiques pour mettre en forme tous ces fameux effets.

Voilà donc un jeu qui a réellement eu un développement en équipe, par le binôme concepteur/développeur, ce qui rassurera sans doute de nombreux wargamers qui remarquent depuis un bon moment quelques lacunes sur ce point chez de plus en plus d'éditeurs. Pour parler du jeu plus particulièrement, peux-tu nous dire quel est son niveau de difficulté, la durée des parties, le nombre de scénarios et sur quels conflits ils s'arrêtent?
Le jeu sera de difficulté moyenne : les mécanismes de jeu sont aussi empreints de bon sens que possible. Mais une certaine complexité vient de l'ensemble des paramètres tactiques et d'environnement à prendre en compte, comme c'est le cas en opération.
Nous prévoyons une grosse quinzaine de scénarios, ce qui permettra des parties allant à mon sens d'une heure et demie à quatre heures - nous avons encore pas mal de tests à faire pour avoir une idée précise des durées de jeu. Outre un scénario d'apprentissage il y aura une campagne "3ème guerre mondiale" qui se passe en Allemagne de l'ouest en 1985. C'est un excellent support pour représenter des combats tactiques conventionnels, avec beaucoup d'appuis et d'interarmes. La campagne qui se passe à Mogadiscio en 1993 met en scène des unités françaises et américaines dans des situations réelles, avec un fort niveau d'asymétrie. Enfin la campagne des "4 as" nous permet d'évoquer (rapidement) les difficultés propres à Kolwezi, Fallujah, Grozny et Bassorah. De quoi répondre aux attentes de très nombreux joueurs!

Et peux-tu nous dire quand le jeu sera disponible?
Nous y travaillons chaque jour avec Nuts! Sauf "surprise stratégique" (rupture de stocks mondiaux de dés par exemple) le jeu sera en précommande avant l'été et nous aurons la joie de le diffuser à partir de cet automne, pour faire en sorte que le Noël de nombreux belliludistes soit un peu plus urbain qu'à l'accoutumée.

Un petit mot de conclusion si tu le souhaites?
Merci pour ton accueil. Je suis très heureux que les joueurs aient la possibilité d'en savoir un peu plus que ce que leur offre une boîte de jeu. Et j'ai hâte de recevoir les retours du public, qu'il soit joueur ou professionnel.

jeudi 7 mai 2015

Lord of the Dead, le retour des microgames


Ca faisait un bail hein? Et oui peu de temps pour pratiquer et donc les jeux de plateau sont plus à l'honneur que le wargame ces temps-ci... il va vraiment falloir que je m'ouvre ici à ce type de jeux sans quoi dimicatio risque d'être bien morne...

https://www.kickstarter.com/projects/1078944858/lord-of-the-dead-an-asymmetrical-hex-and-counter-m?ref=usersBref me revoici pour dire rapidement tout le bien que je pense d'un joli projet. On sait que les jeux qui marchent proposés sur Kickstarter sont majoritairement des énormes productions vendant plus de plastique sous forme (plus ou moins) de figurines et que personnellement, ça ne me fait pas rêver. J'aime bien les figurines, mais je préfère avant tout un bon jeu (et là ça se complique!). Du coup j'ai immédiatement été attiré par un tout petit projet: Lord of the Dead. Son auteur souhaite avec ce jeu honorer la mémoire de ces jeux des années 70/80 appelés "microgames": vendus en ziplock avec souvent de simples pions et une carte photocopiés, ils étaient il faut l'avouer un symbole d'une belle période mais aussi souvent d'une certaine audace, notamment dans les thèmes abordés.

Ce que devait être le résultat, qui évolue donc en ce moment.
Et alors ce Lord of the Dead? Pour 9$ (frais de port compris des US!), le jeu était simplement composé d'une planche imprimée recto-verso sur carton fort. Il fallait découper les pions, à l'ancienne. Il "fallait". Car voilà, alors que l'auteur doutait même d'atteindre les 900$ nécessaires à sa petite production, il est aujourd'hui arrivé à convaincre près de 1000 joueurs et atteint donc 8700$ au moment où j'écris ces lignes! On est bien loin des millions de Conan mais c'est proportionnellement aussi bien! Il "fallait", donc, car fort de ce succès, le jeu aura finalement des pions découpés au laser, aura une extension, elle aussi avec des pions découpés, les illustrations sont en court de révision pour arriver à des standards professionnels. De plus l'auteur offrira les fichiers pour se créer une boite en dur et des scénarios et cartes additionnels! Tout ça, toujours pour 9$.

Je spoile un peu mais voici la carte en pleine évolution suite aux échanges avec les fans

Voici donc un projet porté avec conviction et l'amour du jeu par un auteur toujours présent, sympathique, entièrement dévoué et tout étonné de son succès! Il reste encore 17 jours à ce projet et on en arrive à se demander jusqu'où il ira. En tout cas, moi, j'aime. Ca change des Zombitrucs et des Conamachins.

Arnaud